Sous la co-direction de Laurant BOTTI et Benjamin DREVETON, cette thèse s’intitule :
Le travail institutionnel des organismes de gestion de destination face aux défis de l’Anthropocène : le cas des tableaux de bord
Résumé :
L’Anthropocène, entendu comme l’ère où les activités humaines modifient en profondeur les équilibres planétaires, confronte les organisations publiques à des crises systémiques multiformes : changement climatique, perte de biodiversité, pressions énergétiques et sociales. Ces bouleversements fragilisent les modèles traditionnels d’action publique, fondés sur la prévisibilité, la standardisation et l’évaluation quantitative de la performance, caractéristiques du paradigme néo-managérial (New Public Management). Face à ces limites, un besoin croissant se fait sentir d’élaborer de nouveaux cadres de pilotage intégrant incertitude, vulnérabilités et complexité.
Le secteur du tourisme constitue un terrain privilégié pour observer ces recompositions. Fortement dépendant de ses ressources écologiques, il est soumis à des tensions exacerbées entre attractivité économique, soutenabilité environnementale et acceptabilité sociale. Les organisations de gestion de destination (OGD), acteurs hybrides situés à l’interface des logiques publiques et privées, apparaissent en première ligne pour répondre à ces défis. Dans ce contexte, les tableaux de bord (TDB) occupent une place centrale : loin de se réduire à de simples outils de mesure, ils se révèlent être des instruments de traduction, de légitimation et de médiation institutionnelle.
La problématique centrale de cette thèse est ainsi formulée : comment les OGD répondent-ils aux enjeux environnementaux contemporains à travers l’adoption de nouveaux indicateurs et de nouvelles pratiques orientées vers une gestion plus systémique des territoires ? Trois objectifs guident l’analyse : (1) identifier les formes de travail institutionnel (TI) déployées par les OGD face aux tensions de l’Anthropocène ; (2) analyser la matérialisation et la légitimation de ce TI via les TDB ; (3) comprendre les conditions d’émergence, d’appropriation et de circulation de ces dynamiques de transformation.
Le cadre théorique s’ancre dans le néo-institutionnalisme et mobilise le concept de travail institutionnel (Lawrence & Suddaby, 2006) afin d’analyser les processus de création, maintien et recomposition des normes. La spécificité de ce travail réside dans l’adoption d’une démarche de recherche ingénierique : une posture située, dialogique et contributive, combinant co-conception, expérimentation et médiation. La méthodologie repose sur une étude de cas multiple, menée auprès de trois OGD françaises (Biscarrosse, Grand Poitiers, Grand Avignon), et s’appuie sur un corpus de 60 entretiens, 31 temps collectifs (ateliers, focus groupes, observations) et un journal réflexif.
Les résultats mettent en évidence l’existence d’un travail institutionnel de maintenance adaptative, caractérisé par des ajustements progressifs et des recompositions situées, se tenant entre inertie et transformation radicale. Ce TI hybride se décline en trois formes d’hybridations. D’un point de vue théorique, il montre les limites d’une lecture séquentielle des formes de TI (création, maintien, disruption), au profit d’une conception non linéaire et réflexive. D’un point de vue instrumental, les TDB apparaissent comme des objets-frontières (Star & Griesemer, 1989) et des instruments narratifs de performance, capables d’articuler contraintes locales et injonctions globales. D’un point de vue méthodologique, la recherche ingénierique joue un rôle catalyseur en renforçant la réflexivité collective et en permettant la mise à l’épreuve des dispositifs. Les OGD se révèlent ainsi comme des figures frontières du TI : ni conservatrices, ni rupturistes, mais médiatrices territoriales en quête d’équilibres entre attractivité et habitabilité.
Les contributions de la recherche se déclinent en quatre registres. Sur le plan théorique, elle enrichit le néo-institutionnalisme en conceptualisant le TI de maintenance adaptative en contexte d’Anthropocène. Sur le plan empirique, elle documente les pratiques concrètes des OGD et éclaire leurs bricolages normatifs et leurs récits de durabilité. Sur le plan méthodologique, elle illustre la fécondité de la recherche ingénierique comme posture hybride, où le chercheur assume une fonction d’intrapreneur institutionnel. Enfin, sur le plan managérial, elle propose des dispositifs opérationnels (indicateurs, matrices, outils réflexifs) et met en lumière le rôle des OGD comme catalyseurs d’hybridations institutionnelles à l’échelle territoriale.
Au-delà de ses apports scientifiques et managériaux, ce travail contribue aux débats sur la transition du tourisme vers un post-tourisme durable, où la compétitivité laisse place à la production de valeur publique, de robustesse collective et d’habitabilité territoriale. Les notions de climax (équilibre dynamique des écosystèmes) et de praxis (pratiques réflexives et orientées vers l’action) offrent des repères pour penser cette transition. Enfin, l’ouverture vers un imaginaire gaïen (Latour, 2015 ; Lovelock, 2016), fondé sur l’interdépendance et la cohabitation avec les milieux vivants, invite à dépasser l’horizon prométhéen de la maîtrise technique et de la croissance illimitée.
Si vous êtes intéressé et disponible, merci de vous inscrire sur le lien suivant (question logistique) : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLScqa-wu1kGAJlwjVM0tuSeNPfruXp-ePVjDSCE_FvtA1pRPRw/viewform?usp=header
Le jury sera composé de :
Mme Angèle RENAUD, Professeure des universités, Université de Bourgogne Europe, Rapporteur
M. Benjamin TAUPIN, Professeure des universités, Université d’Evry Paris-Saclay, Rapporteur
M. Laurent BOTTI, Maître de conférences, Université de Perpignan Via Domitia, Directeur de thèse
Mme Cécile CLERGEAU, Professeure des universités, Université de Nantes, Examinateur
M. Eric REMY, Professeur des universités, Université de Perpignan Via Domitia, Examinateur
M. Benjamin DREVETON, Professeure des universités, Université de Poitiers, CoDirecteur de thèse
M. Marcel GUENOUN, Directeur de recherche, CNRS – Direction interministérielle de la transformation publique, Examinateur
La soutenance aura lieu à 9h30 dans l’Amphithéâtre B100 de l’IAE (soutenance publique).


